mardi 3 septembre 2013

Exemple de dissertation entièrement rédigée : "Une activité inutile est-elle pour autant sans valeur ?"

AVANT DE LIRE CE CORRIGE
- Réfléchissez d'abord par vous-même à la question et essayez de construire une problématique par vous-même
- Pour des raisons de clarté, le titre des parties apparaît ici, le plan ne doit pas apparaître dans votre copie


REMARQUE SUR LE SUJET :
- Comme la dissertation que vous avez à rendre, la question posée est construite sur une opposition qu'il s'agit d'analyser, d'interroger puis dépasser : "l'inutilité" est-elle incompatible avec l'idée de "valeur" ? Au contraire, ne peut-on pas découvrir un lien intime entre les deux ?  

"Une activité inutile est-elle pour autant sans valeur ?"

[Introduction]

Nous marchons pour rejoindre tel endroit, nous travaillons pour gagner notre vie, nous faisons du sport pour entretenir notre forme. Il n’y a point d’activité qui ne soit orientée vers un but déterminé. Tous les hommes s’affairent, s’activent, produisent des richesses et des biens. Nul doute que l’ensemble des activités humaines ait une utilité, et c’est cette utilité qui en fait la valeur. Il n’y a qu’à jeter un regard sur toutes ces constructions, ces œuvres humaines : leur évidente matérialité suffit à justifier et à valoriser les énergies et le travail qu’elles ont nécessités. Néanmoins, quand nous sommes fatigués de ce monde hyper actif, nous souhaitons le retrait, nous rêvons non à une passivité facile, mais à l’activité gratuite, dont le luxe est de n’être pas jugée à l’aune de son résultat. Il nous semble alors que par la lecture désintéressée, la balade improvisée, nous retournons aux « vraies valeurs » de l’existence.
Si bien que se demander si une activité inutile peut revêtir de la valeur nous plonge dans la perplexité. D’un côté, notre être social, sommé d’agir avec efficacité et rendement, ne comprend pas comment quelque chose d’inutile peut avoir une quelconque valeur. D’un autre côté pourtant, nous comprenons le sens profond d’une telle interrogation : il y a dans l’idée de valeur une richesse qui excède l’idée d’utilité, et même qui l’exclut.
D’où vient donc que l’activité inutile peut être jugée de manière aussi radicalement opposée ? Pourquoi l’utilité et la valeur sont-ils des concepts si proches qu’il est difficile d’envisager une activité inutile qui puisse avoir de la valeur ?

 [1] – L’idée qu’une activité inutile puisse avoir de la valeur semble difficilement concevable…

Une première réponse, spontanée, discrédite l’intérêt même du sujet. Elle pourrait se formuler de la manière suivante : une activité inutile est évidemment sans valeur puisque toute activité vise une utilité quelconque, elle reçoit son sens même du but qu’elle vise. Nous allons tenter d’explorer et d’expliciter cette première hypothèse que l’intuition nous souffle. Qu’est-ce qui motive une activité, cet ensemble cohérent de petites actions, sinon un but à réaliser, une œuvre à créer ? Ainsi, l’activité du maçon, de la cimentation des fondations à la mise en place des cloisons, permet-elle la réalisation de la maison. L’activité du maçon est utile lorsque la maison qui en résulte est résistante et constitue un confortable habitat. Que voudrait-on dire si on qualifiait d’inutile l’activité du maçon ? Sans doute que cette activité, par l’incompétence de celui qui la poursuit, est inutile dans la mesure où elle ne permet la bonne réalisation de la maison. Autrement dit, l’activité inutile serait celle qui ne remplirait pas le rôle qu’on lui avait assigné, qui ne déboucherait pas sur la réalisation attendue. Ou encore, pour nous aider de l’étymologie, l’activité inutile est l’activité qui ne constitue pas le bon moyen, l’ustensile, l’outil (tous ces mots viennent du latin uti qui signifie « se servir de » ) efficace pour atteindre la fin escomptée. Elle ne sert à rien. Elle est pure perte d’énergie. De manière inverse, l’utilité d’une activité résiderait dans sa capacité à être le bon moyen pour atteindre un certain but.
Demandons-nous maintenant si l’activité inutile, telle que nous l’avons définie à travers l’exemple du maçon, est effectivement sans valeur. Il nous semble difficile de répondre affirmativement à cette interrogation. En effet, avoir de la valeur consiste à susciter un intérêt pour quelqu’un, à lui apporter un bien quelconque, aussi minime soit-il. Par exemple, cette voiture a de la valeur (marchande) parce qu’elle est l’objet d’une demande sur le marché de l’automobile c’est-à-dire qu’il se trouve des personnes voyant un intérêt dans sa possession. Si personne ne désire l’acheter parce que sa mécanique est déglinguée ou parce que sa couleur est immonde, sa valeur pourra théoriquement décroître jusqu’à la nullité (si sa valeur n’est, dans les faits, pas nulle, c’est parce que le vendeur suppose qu’un probable acheteur sera intéressé par cette vieille carcasse). Ainsi on voit donc mal comment une activité inutile, qui ne sert à rien, pourrait avoir de la valeur : sa raison d’être (ce qui fait qu’il y a une activité) étant précisément d’accomplir un but. Il y a ici comme une équivalence entre l’utilité et la valeur : si la raison d’être de l’activité que je poursuis est la réalisation d’un but et si cette activité ne me permet d’atteindre ce but, alors cette activité n’a aucun intérêt pour moi, elle est pour moi sans valeur.
On est donc conduit, en première analyse, à identifier valeur et utilité : ce qui est utile a de la valeur, ce qui est inutile n’a aucune valeur. Cette première approche ne semble pas satisfaisante car elle ne règle pas le problème que pose précisément le libellé : il ne s’agit pas de savoir s’il y a des cas où l’activité inutile peut être sans valeur, cela nous n’avons pas eu de mal à le montrer. Bien plutôt s’agit-il de montrer s’il n’y a pas des activités qui seraient inutiles et qui auraient pourtant une valeur. De manière plus radicale et conceptuelle, il faut interroger le sens même de l’identification opérée par notre première réponse entre utilité et valeur.

[2] – …si l’on identifie trop rapidement utilité et valeur. En distinguant ces deux concepts, on peut concevoir la possibilité d’une activité inutile qui aurait tout de même de la valeur.

La possibilité d’une activité inutile et pourtant non dépourvue de valeur suppose que valeur et utilité ne coïncident pas. Ceci nous est soufflé par les mots eux-mêmes : utilité et valeur sont deux concepts distincts qui doivent bien recouvrir deux réalités différentes. Tentons de préciser à présent cette seconde hypothèse : si toute activité utile a bien de la valeur, puisqu’elle sert à la réalisation d’un but et qu’à ce titre elle possède un intérêt pour celui qui poursuit ce but – toute activité qui a de la valeur n’est pas pour autant utile. C’est cette seconde hypothèse qu’il faut maintenant tester. Reprenons notre définition de l’activité inutile : est inutile une activité qui manque le but qu’elle s’était proposée d’atteindre. Reprenons notre courte définition de la valeur : quelque chose a de la valeur dès lors que son existence revêt un intérêt. On aperçoit bien ici en quoi l’identification des deux notions est aisée : leurs définitions respectives sont très proches.
Pourtant, il s’en faut de beaucoup pour qu’elles soient identiques. On remarque tout d’abord que des deux définitions, celle qui est la plus précise et la plus claire est celle de l’utilité. Elle offre effectivement un critère facile de reconnaissance de l’utile. Est utile, ce qui est le bon moyen pour atteindre une certaine fin. Rien de plus clair car ce critère se situe au plan du résultat technique, d’une efficacité vérifiable par tous et qui de l’ordre du constat : le but est effectivement atteint ou manqué. En revanche, la définition de l’idée de valeur est plus vague. Si la valeur se mesure à l’intérêt qu’offre l’existence de quelque chose, il existe autant de valeurs que d’intérêts suscités ! On voit bien que le concept de valeur recouvre une multitude de réalités distinctes : que l’on peut concevoir des valeurs qui seraient soit marchandes, soit morales, ou encore esthétiques etc. C’est que la valeur suppose la référence à une échelle idéale que chacun peut concevoir différemment. L’expression : « nous ne partageons pas les mêmes valeurs » veut bien dire que nous ne jugeons pas des choses avec les mêmes critères. Accorder de la valeur à quelque chose est un procédé fort complexe : cela suppose le choix d’un critère qui peut varier d’un esprit à l’autre, et cela suppose que ce critère n’est pas le seul possible. Tant et si bien que l’identification que nous opérions entre utilité et valeur paraît s’avérer fautive. Le concept de valeur déborde largement celui d’utilité. L’utilité n’est pas le tout de la valeur.. Disons-le plus précisément, l’utilité n’est qu’une valeur particulière. Une activité utile possède donc bien une valeur en vertu de son utilité mais parce que le critère choisi, l’échelle de valeur considérée est celui de l’utilité. Nous pourrions envisager d’autres échelles de valeur, d’autres critères de jugement. 

[3] – La valeur et l’utilité d’une activité peuvent être en raison inverse : le cas du plaisir.

Que serait donc une activité inutile qui aurait par ailleurs de la valeur ? Nous avons vu qu’une activité - se définissant comme un ensemble d’actions visant un but - était inutile dans la mesure où elle n’atteignait pas le but qu’elle s’était fixé. La difficulté n’est pas mince et s’exprime ainsi : trouver une valeur autre qu’utilitaire à quelque chose (l’activité)qui n’existe qu’en vertu de son utilité même (toute activité visant un but)! Ainsi on peut bien imaginer qu’un objet qui n’a pas d’utilité, c’est-à-dire qu’il ne réalise pas un but déterminé, peut tout de même avoir de la valeur : esthétique, sentimentale etc. puisqu’un objet n’est pas forcément fabriqué dans un but utilitaire. Ainsi, le nounours qui trône sur mon oreiller a bien de la valeur pour moi – une valeur affective – même s’il n’a aucune utilité effective (cela fait bien longtemps que je n’ai plus besoin de lui pour m’endormir).
Or, toute activité, à tout le moins humaine, est orientée vers une fin déterminée. Une activité inutile serait totalement sans valeur. Peut-être est-ce en approfondissant ce que nous entendons par l’inutilité d’une activité que nous sortirons de cette difficulté. Nous disions qu’une activité est inutile lorsqu’elle échoue dans la réalisation d’un projet, d’une fin, d’un but. De fait, il y a deux manières d’expliquer que le but n’est pas atteint.
Première manière : le but de l’activité est extérieur à l’activité elle-même et cette dernière manque effectivement le but pour des raisons accidentelles et techniques. C’est le cas, dont nous avons parlé plus haut, du maçon incompétent qui ne réussit pas la maison. L’activité du maçon et la maison une fois finie, le moyen et la fin sont dits extérieurs l’un à l’autre parce que l’on peut les concevoir séparément. On peut penser par exemple que les travaux de construction pourraient être réalisés à l’aide de robots, que le travail du maçon et sa technique propre ne sont donc pas nécessairement liés à la maison comme produit fini. Dit autrement, moyens et but sont extérieurs lorsqu’on peut atteindre le but par d’autres moyens. C’est en ce premier sens que l’on comprend généralement l’idée même d’activité.
Deuxième manière, celle-là nouvelle : une activité est inutile, non parce qu’elle n’atteint pas un but préposé et extérieur à elle, mais parce qu’elle ne vise pas d’autre fin qu’elle-même ! En un sens, elle ne réalise rien qui soit extérieur à elle, elle ne sert à rien, elle est inutile, mais cela en vertu même de sa nature. On se demandera si ce type d’activités, étranges et sans but clair, existe réellement. Si toute activité n’a pas sa raison d’être, comme nous le disions au début de notre étude, dans la production effective de quelque chose. Prenons pour s’en convaincre l’activité du collectionneur. De prime abord, cette activité est tendue vers une fin déterminée : l’accumulation, la thésaurisation d’objets partageant un caractère commun.  Le collectionneur patenté se lève dès potron-minet le dimanche pour explorer brocantes et marchés aux puces, passe des journées entières à marchander, échanger, acheter. Autant, d’étapes visant à enrichir sa collection, autant de menues actions ayant pour fin la réalisation de sa collection. Nous n’aurions donc pas dans cet exemple l’illustration d’une activité qui a sa fin en elle-même et notre exemple serait mal choisi.
Mais avons-nous bien analysé cet exemple ? N’avons pas manqué de sens psychologique et posant comme unique but au collectionneur la simple accumulation d’objets ? Le collectionneur ne trouverait-il pas quelque intérêt à son activité elle-même ? Cette dernière n’aurait donc pas son sens et sa valeur dans l’objectif qu’elle poursuit mais dans elle-même et pour elle-même. Précisons : si vous interrogez le collectionneur, il vous dira que flâner dans les vieilles boutiques, se lever aux aurores, discuter avec le chaland ou le marchand est pour lui un véritable plaisir. Par conséquent, cette activité porte en elle une valeur qui ne se réduirait pas à son utilité ; le collectionneur peut bien revenir les mains vides, il aura éprouvé un certain plaisir.
On pourra ici objecter que cette activité, dans la mesure même où elle lui procure du plaisir, est bien utile.  Mais ce serait commettre sans aucun doute une extension de langage. L’utile, avons-nous vu, est ce qui constitue le moyen efficace d’atteindre une certaine fin. Il y a nécessité de distinguer dans l’utile ce qui est le moyen de ce qui est le but. Or, dans le cas du plaisir, moyen et fin coïncident. Dans l’activité elle-même. Expliquons-nous : on ne peut concevoir le plaisir de flâner, par exemple, sans l’activité même de la flânerie. Le plaisir est, en quelque sorte, coextensif à l’activité qui l’accompagne. Le plaisir de la flânerie n’est pas le même que celui de l’activité sportive. Moyen et fin coïncident dans le cas du plaisir en ce sens qu’on ne peut imaginer d’autres moyens que la flânerie pour éprouver le plaisir de la flânerie ! Cette dernière tautologie manifeste que les concepts de moyen et de fin, d’utilité ne sont pas adéquats pour expliquer le phénomène du plaisir. Or, personne ne niera que le plaisir tiré d’une activité ne constitue pas un intérêt ; mieux, une valeur. C’est-à-dire quelque chose qui permette de donner un prix aux choses et par-là même qui puisse offrir le principe de toute une existence. La flânerie n’est pas seulement le plaisir du collectionneur qui ne trouve pas : elle peut être un style de vie. Approfondissons davantage cette idée du plaisir érigé en valeur et qui philosophiquement se nomme « hédonisme » car il nous paraît précisément que la valeur-plaisir se définit à l’encontre de toute valeur-utilité. Que nous dit le véritable hédoniste, celui qui prétend goûter aux choses de la vie et exister selon son bon plaisir ? Et bien précisément qu’il accueille la vie comme elle est, qu’il respecte les choses telles qu’elles sont. A ce titre, le véritable hédoniste ne doit pas être confondu avec le vulgaire soudard. Ce dernier en effet jouit des choses en se les appropriant violemment ; en somme, il se sert du monde en en faisant l'instrument de sa jouissance égoïste. Ici, nous sommes dans le cadre de la pensée utilitaire qui en voit en toute chose un moyen de me satisfaire. Toutefois le véritable plaisir ne vient-il pas de l’acceptation d’une singularité, de l’accès à un ordre qui m’était précédemment caché et auquel je vais adhérer activement ? Le plaisir n’est-il pas lié à la surprise d’être soudainement arraché à mes propres projets, à mes propres intentions, à mes propres préoccupations pour me fondre dans l’épaisseur des choses elles-mêmes ? En résumé, le plaisir serait le couronnement d'une activité qui n'aurait pas d'autre fin qu'elle-même, dont la signification pour celui qui la poursuit ne résiderait pas en dehors d'elle.

[Conclusion]

Reprenons brièvement les trois étapes de notre réflexion. Après nous être demandés pourquoi la valeur d'une activité semblait résider dans son utilité, c'est-à-dire dans son efficacité à réaliser un but; nous avons découvert que le concept de valeur pouvait largement excéder celui d'utilité. En explorant cette possibilité nous sommes parvenus à cette conclusion surprenante : une activité inutile peut revêtir de la valeur dans la mesure même où elle est inutile.
Par cette conclusion nous retrouvons ce lien intime qui tient ensemble utilité et valeur ; non plus comme deux concepts interchangeables, mais comme deux réalités adverses.